Heinrich Schenker naît à Wisniowczyk en Galicie (Ukraine) le 19 juin 1868, l'avant-dernier d'une famille juive de six enfants, quatre fils et deux filles. Son père, Johann Schenker, est médecin et s'installe avant 1874 avec sa famille à Podhajce, le chef-lieu dont dépend Wisnioczyk. Heinrich Schenker étudie aux gymnases de Lemberg et de Brzezany, en Galicie, où il est l'élève de Karol Mikuli (1819-1897), pianiste et compositeur, directeur artistique de la Société Musicale de Galicie, ancien élève et assistant de Chopin.
Schenker s'inscrit en 1884 à la Faculté de droit de l'Université de Vienne, où il obtient le doctorat le 20 novembre 1889. Il entre en 1887 au Conservatoire de Vienne pour y suivre les cours d'harmonie (1887-1888) et de contrepoint (1888-1889) d'Anton Bruckner et les cours de piano d'Ernst Ludwig (1887-1889). Il quitte le Conservatoire, où il n'aura donc passé que deux ans, au début de l'année académique 1889-1890, après avoir obtenu son diplôme de droit à l'Université.
Pendant une dizaine d'années, de 1891 à 1901, Schenker collabore à divers périodiques, Die Zukunft (Berlin), Musikalisches Wochenblatt (Leipzig), Die Zeit (Vienne), Neue Revue (Vienne), Wiener Abendpost (supplément au Wiener Zeitung), pour lesquels il rédige des articles et des critiques. On y trouve notamment une étude sur «L'Esprit de la technique musicale» qui constitue un des points de départ de son oeuvre théorique.
L'activité de compositeur de Schenker se situe dans la dernière décade du xixe siècle. Selon Patrick Miller, l'oeuvre publiée à l'époque compte 158 pages, auxquelles il faut ajouter approximativement 530 pages manuscrites conservées dans la collection d'Oswald Jonas et quelques oeuvres chorales inédites conservées à la Bibliothèque nationale autrichienne à Vienne. A partir des ouvrages consultés pour le présent travail, il n'est possible d'établir qu'une liste incomplète des oeuvres :
À la même période, il travaille comme pianiste et comme accompagnateur, notamment d'Eduard Gärtner avec qui il donne plusieurs concerts à Vienne. Il accompagne en janvier 1899 le chanteur Johannes Messchaert dans une tournée qui les mèneront à Klangenfurt, Graz, Trieste, Brünn, Lemberg, Vienne et Budapest; d'une lettre de remerciement que Messchaert lui a envoyée en février 1899, on peut déduire que Schenker n'a pas particulièrement apprécié ce travail.
Le tournant du siècle marque aussi un tournant dans sa carrière. Avec cet orgueil qui deviendra bientôt un trait dominant de son caractère, il se sent investi d'une responsabilité vis-à vis des grands maîtres. Sa vocation sera de faire connaître au monde ce dont, dit-il, il est seul à avoir conscience. Pour ce faire, il abandonne la composition et l'exécution. Sa vocation prendra deux directions complémentaires : d'une part, l'édition de partitions aussi proches que possible des textes originaux, et d'autre part la publication de ses propres théories. Il travaille dès le début du siècle pour la firme Universal Edition, fondée en 1901, et cette collaboration se poursuivra, avec des moments de tension plus ou moins forte, jusqu'à sa mort. Emil Hertzka, le directeur d'Universal, semble avoir porté une réelle estime à Schenker, même s'il a manifesté quelques réticences compréhensibles à publier certaines de ses opinions les plus polémiques.
En 1908, Schenker caresse l'espoir d'être nommé professeur de composition et de théorie à l'Akademie für Musik und darstellende Kunst, mais son arrogance ne peut que se heurter de front à l'académisme de cette vénérable institution : le projet se révèle irréalisable. Après la Première Guerre, il envisage de quitter Vienne pour Leipzig ou pour Munich, où des possibilités d'occuper un poste académique semblent s'offrir, notamment grâce aux efforts de Wilhelm Furtwängler et de Karl Straube. Furtwängler s'est efforcé aussi, en 1933, de faire attribuer à Schenker une charge d'enseignement à Vienne même. Mais aucun de ces projets n'aboutit : Schenker restera donc à Vienne sans jamais y occuper de poste officiel. Son existence matérielle sera assurée tant bien que mal, notamment grâce à plusieurs mécènes, Alphonse de Rothschild, Sophie Deutsch, Angi Elias, Wilhelm Furtwängler, un Mr. Khuner, Anthony van Hoboken et Robert Brünauer.
La défaite allemande en 1918 et la Révolution russe de 1917 semblent avoir fortement affecté Schenker, qui se laisse aller à quelques excès nationalistes regrettables dans ses publications des années qui suivent.
Le 10 novembre 1919, Schenker épouse Jeannette Schiff, qu'il avait rencontrée en été 1907 lors d'un voyage au Tirol et qui était sa compagne depuis 1910. Elle sera son principal collaborateur et son plus grand soutien : «Mon travail, écrit-il, aura été aussi le sien. Le volume Der Freie Satz [L'Écriture libre] devra porter la dédicace «à mon épouse bien aimée»! Sans son aide active dans les grandes et les petites choses, l'ouvrage n'aurait pas été mené à bien». Le manuscrit de L'Écriture libre est achevé le 25 avril 1934. Schenker en corrige les épreuves jusqu'en décembre. Mais il souffrait depuis 1914 du diabète. Il meurt d'une crise diabétique le 14 janvier 1935 à 1h30 du matin et est enterré le 17 janvier au cimetière central de Vienne. L'Écriture libre sera publié à titre posthume chez Universal la même année, grâce à une aide financière d'Anthony van Hoboken.
Certains des élèves de Schenker ont été surtout des mécènes. C'est le cas en particulier de Mme Sophie Deutsch, dont le salon était ouvert à de nombreux musiciens et qui a fait à Schenker une rente annuelle de 3.000 marks, et de Mme Angi Elias qui l'a soutenu financièrement à plusieurs reprises. Anthony van Hoboken, dont le travail chez Schenker a été plus important, notamment en liaison avec les archives de manuscrits musicaux, fut lui aussi l'un de ses principaux mécènes, qui a contribué financièrement à l'édition du deuxième volume de Das Meisterwerk in der Musik et à celle de la première édition de L'Écriture libre. Parmi les élèves plus professionnels, il faut citer le chef d'orchestre Carl Bamberger, les compositeurs Felix Eberhard von Cube et Reinhard Oppel, la pianiste Paula Szalit, les musicologues Gerhard Albersheim, Otto Vrieslander et Viktor Zuckerkandl, et surtout ceux qui ont fait connaître les théories schenkeriennes aux États-Unis, puis dans le monde entier, Hans Weisse, Felix Salzer, Oswald Jonas.