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d'Alembert, Jean le Rond. Elémens de musique théorique et pratique, suivant les principes de M. Rameau.


Paris, David l'ainé, etc., 1752. 2e édition augmentée, Lyon, J.-M. Bruysset, 1762 ; rééditions 1762, 1766, 1772, 1779. Fac-similé 1966, 1984. Traduction allemande par Fr. W. Marpurg, Leipzig, 1757.



Version compacte et simplifiée des théories de Rameau. d'Alembert s'est inspiré particulièrement du Mémoire présenté par Rameau en 1749 à l'Académie des sciences, et sa publication sous le titre de Démonstration du principe de l'harmonie en 1750 (voir Rameau, 1749, et Rameau, 1750). L'ouvrage comporte une introduction terminologique suivie de deux Livres, le premier « Qui contient la théorie de l'harmonie » (p. 14-118 de l'édition de 1779 citée ici) et le second « Qui contient les principales règles de la composition » (p. 119-210). Il se termine par une « Réponse à une lettre imprimée de M. Rameau », annexée au Code de Musique (p. 211-231). C'est le Premier Livre qui traite le plus nettement de théorie de la tonalité. Le Deuxième Livre a un caractère récapitulatif.

D'Alembert décrit d'abord le phénomène de « résonance », qui produit la douzième et la dix-septième de la fondamentale (il paraît négliger systématiquement les partiels de rang pair, réputés moins aisément audibles) et justifie par là l'accord parfait, « ouvrage de la nature » (p. 20). Pour l'accord mineur, il propose une explication nettement dualiste, où les deux notes les plus graves de l'accord ont la troisième dans leurs harmoniques (Rameau, comme d'Alembert en 1752, avait formé l'accord mineur de longueurs de cordes que la plus aiguë peut faire vibrer par sympathie). Le même principe dualiste donne naissance à ce que d'Alembert « appelle BASSE FONDAMENTALE d'ut par quintes », c'est-à-dire fa-do-sol. Le « mode » se construit ensuite par la résonance sur ces trois fondamentales : « Ainsi les trois sons fa, ut, sol, & les harmoniques de chacun de ces trois sons, c'est-à-dire leurs tierces majeures & leurs quintes, composent tout le mode majeur d'ut. Donc la suite de quintes ou basse fondamentale fa, ut, sol, dans laquelle ut tient le milieu, peut être regardée comme représentant le mode d'ut » (p. 27 sq.). C'est évidemment une conception zarlinienne du système : d'Alembert discute d'ailleurs des questions d'intonation juste (p. 31, note h).

« Le mode de sol, ou plutôt la basse fondamentale de ce mode, a deux sons communs avec la basse fondamentale du mode d'ut. Il en est de même de la basse fondamentale du mode de fa. Le mode d'ut (fa, ut, sol) est appelé mode principal, par rapport aux modes de ses deux quintes, qui sont appelées [sic] ses deux adjoints » (p. 28), ou ses relatifs (p. 73). De même, le mode de la et celui de mi ont deux sons communs à celui d'ut : ils sont donc aussi relatifs d'ut (p. 73 sq.). Puisque la basse fondamentale ne peut progresser que par quintes, la gamme majeure ascendante ne peut être supportée que par quatre degrés de la basse fondamentale : la succession ^6-^7 requiert une harmonie II-V : il y a donc changement de mode, du mode d'ut au mode de sol (p. 41) ; l'intonation du ^6 est donc présentée ici comme quinte du II, plutôt que tierce du IV.

D'Alembert décrit les accords de septième en soulignant qu'il y en a de plusieurs « espèces » : c'est peut-être l'origine de ce terme qui deviendra commun dans la théorie française ultérieure, notamment chez Reicha. Il signale successivement la septième de dominante, la septième mineure, la septième de sensible, la septième majeure et la septième diminuée (p. 88 sq.) : l'ordre de la description est semblable à celui de Reicha.

« La cadence rompue peut, ce me semble, être regardée comme ayant son origine dans le double emploi; puisqu'elle ne consiste, comme le double emploi, que dans une marche diatonique de la basse en montant. En effet, rien n'empêche de descendre de l'accord sol si ré fa à l'accord ut mi sol la, en rendant la tonique ut sous-dominante, c'est-à-dire, en passant tout d'un coup du mode d'ut dans le mode de sol; or descendre de sol si ré fa à ut mi sol la, c'est la même chose que de monter de l'accord sol si ré fa à l'accord la ut mi sol, en changeant l'accord de sous-dominante ut mi sol la, en accord de dominante imparfaite, suivant les lois du double emploi [...]. La cadence interrompue a aussi, ce me semble, en quelque maniere son origine dans le double emploi; car supposons ces deux accords consécutifs sol si ré fa, sol si ré mi, où sol est successivement dominante tonique, & sous-dominante, c'est-à-dire où l'on passe du mode d'ut au mode de  ; si on change le second de ces accords en accord de dominante suivant les lois du double emploi, on aura la cadence interrompue sol si ré fa, mi sol si ré » (p. 101 sq). C'est, à peu de chose près, la doctrine riemannienne de la substitution de la sixte pour la quinte.

Le Deuxième Livre donne notamment des « Règles de la basse fondamentale », d'abord des règles de préparation et de résolution des dissonances, puis de progression fondamentale : « Toute dominante simple ou tonique doit descendre de quinte. Dans le premier cas, c'est-à-dire si la dominante est simple, la note qui suit ne peut être que dominante; dans le second elle peut être tout ce qu'on voudra, c'est-à-dire tonique, dominante tonique, dominante simple, ou sous-dominante » (pour autant que les règles de préparation soient observées). « Toute sous-dominante doit monter de quinte, & la note qui la suit peut être à volonté, ou tonique, ou dominante tonique, ou sous-dominante ». C'est très probablement la rigueur de ces règles qui a été visée au début du XIXe siècle en France : l'interprétation trop stricte, sinon naïve, des théories d'Alembert a fait perdre la trace de l'inventivité de celles de Rameau.