FERMER

Pseudo Odon de Cluny,
Dialogus de Musica, c1100.


Édition moderne : GS I, p. 251-264  ; PL, vol. 133, p. 757-774.


L'apport particulier du Dialogus est d'avoir fixé la notation alphabétique qui demeure en usage de nos jours et d'avoir réintroduit en Occident l'usage antique du monocorde. Le traité s'inscrit dans la filiation directe de la Musica d'Hucbald.

Les deux problématiques de la notation alphabétique et du monocorde s'inscrivent dans une réflexion sur l'apprentissage des mélodies inconnues : c'est une étape essentielle de l'évolution par laquelle la musique ecclésiastique passe d'un stade de tradition orale à celui de l'écriture et de la notation. L'apprentissage musical est lié métaphoriquement à celui de la lecture (sans pour autant qu'aucune référence directe soit faite à une écriture musicale). Le texte est présenté sous forme d'un dialogue entre un disciple et un maître. Ce dernier écrit :

Sicut magister omnes tibi litteras primum ostendit in tabula: ita et musicus omnes cantilenae voces in monochordo insinuat.
[...]
De même que le maître te montre toutes les lettres au tableau, de même le musicien suggère toutes les notes de la mélodie au monocorde.
Litterae vel notae, quibus musici utuntur, in linea, quae est sub chorda, per ordinem positae sunt: dumque modulus inter lineam chordamque decurrit, per easdem litteras curtando vel elongando chorda omnem cantum mirabiliter facit: et dum pueris per ipsas litteras aliqua notatur antiphona, facilius et melius a chorda discunt, quam si ab homine illam audirent: et post paucorum mensium tempus exercitati, ablata chorda, solo visu indubitanter proferunt, quod nunquam audierunt. Les lettres ou les signes que les musiciens utilisent sont inscrites dans l'ordre sur la ligne sous la corde. À mesure que le sillet se déplace entre la ligne et la corde, il produit de façon merveilleuse toute la mélodie par ces mêmes lettres, allongeant ou racourcissant la corde. Les enfants apprennent plus facilement et mieux n'importe quelle antienne notée par ces lettres que s'ils l'entendaient chantée. Et après quelque mois d'exercice, si on enlève la corde, ils profèrent sans hésitation par la seule vue ce qu'ils n'ont jamais entendu.

Les lettres inscrites sous la corde du monocorde, décrites ensuite, forment une échelle de deux octaves, correspondant à l'échelle antique à quinze degrés de la à la décrite par Hucbald, ici notée de .A. à .aa., à laquelle s'ajoute au grave un degré et une lettre supplémentaires, le gamma grec, et avec un degré double, le IXe (.♭. et .♮.) :


.Γ.
I
.A.
II
.B.
III
.C.
IIII
.D.
V
.E.
VI
.F.
VII
.G.
VIII
.a.
IX/i
.♭.
IX/ii
.♮.
X
.c.
XI
.d.
XII
.e.
XIII
.f.
XIIII
.g.
XV
.aa.

Le maître continue (après une démonstration des mesures pythagoriciennes du monocorde) :

Litteras monochordi, sicut per eas cantilena discurrit, ante oculos pone: ut si nondum vim ipsarum litterarum plene cognoscis, secundum easdem litteras chordam percutiens ab ignorante magistro mirifice audias, et addiscas. Considère sous tes yeux les lettres du monocorde, telles que la mélodie les parcourt. Même si tu n'en comprends pas complètement la signification, en frappant la corde aux endroits de ces lettres, tu entendras merveilleusement et tu apprendras de ce maître ignorant.

Le disciple répond :

Vere inquam magistrum mirabilem mihi dedisti, qui a me factus me doceat, meque docens ipse nihil sapiat. Vraiment, dis-je, tu m'as donné un maître admirable qui, quoique fabriqué par moi, m'enseigne, et qui m'enseignant ne sait [pourtant] rien lui-même.

Le traité décrit ensuite les « consonances », c'est-à-dire les intervalles utilisables en musique  : le demi-ton, le ton, la tierce mineure, la tierce majeure, la quarte et la quinte, et discute l'ambitus des mélodies dans chacun des modes. C'est ici que le maître donne la fameuse règle omnis cantus, qui sera souvent répétée pendant tout le Moyen Âge :

Tonus vel modus est regula, quae de omni cantu in fine diudicat. Nam nisi scieris finem, non poteris cognoscere, ubi incipi, vel quantum elevari vel deponi debeat cantus. Le ton ou le mode est une règle qui juge de tout chant par la fin. En effet, si tu ne sais pas la fin, tu ne pourras pas connaître où le chant doit commencer, ni combien il doit monter ou descendre.

Le traité s'achève par une mention assez difficile à comprendre du lien entre les degrés de l'échelle et les modes :

Unaquaeque enim vox alicuius supradictorum modorum similitudinem tenet; ut gamma quidem, quia habet ante se duos tonos, post quos semitonium, et duos tonos adiungit, ac deinde semitonium tonumque apponit, non immerito septimi modi similitudinem tenet, cum et finis septimi ad gamma diapason concinat. Prima quoque vox, quia habet post se tonum, ante se vero tonum et semitonium et duos tonos, primi modi legem custodit: unde prima non sine causa dicta est. Secunda vero cum deponatur post se duobus tonis, et ante elevetur semitonio et duobus tonis, iterumque semitonio et tono, usitatam quarti modi regulam servat. Tertia praeterea C. cum post se habeat semitonium et duos tonos, ante se vero duos tonos et semitonium, ac deinde tres tonos, quinti vel sexti proprietate fulcitur.[...] Chacune des notes possède une similitude avec l'un des modes susdits, de telle sorte que Γ, parce qu'il a devant lui deux tons, puis un demi-ton et deux tons, enfin un demi-ton, a non sans raison une similitude avec le septième mode, puisque la fin du septième correspond à l'octave de gamma. De même la première note [c'est-à-dire .A.], parce qu'elle a sous elle un ton, au dessus un ton, un demi-ton et deux tons, maintient la règle du premier mode  : elle n'est donc pas nommée sans raison la première. La seconde, comme on en descend par deux tons, et qu'on monte par un demi-ton et deux tons, puis un demi-ton et un ton, respecte la règle régulière du quatrième mode. Puis la troisième, .C., puisqu'elle a en dessous un demi-ton et deux tons, au dessus deux tons, un demi-ton et trois tons, s'appuie sur la propriété du cinquième ou du sixième [mode].

etc.  : les notes .a., .♭., .♮., .c., sont chacune rattachée à un mode ou à une paire de modes, et le texte poursuit  :

Reliquae vero, quae sequuntur, pro similitudine litterarum facile perpenduntur: quod monstrat haec figura. Les autres [notes] qui suivent sont facilement appréciées, grâce à la similitude des lettres, comme le montre cette figure.
VII
.Γ.
VIII
I
.A.
II

.B.
IIII
V
.C.
VI
I
.D.
II
III
.E.
IIII
V
.F.
VI
VII
.G.
VIII
I
.a.
II
III
.♮.
IIII
V
.c.
V/VIII
I
.d.
II
III
.e.
IIII
V
.f.
VI
VII
.g.
VIII
I
.aa.
II

Dans ce tableau, les chiffres romains paraissent indiquer les modes auxquels sont associées chacune des lettres; les chiffres V/VIII (peut-être pour VI/VIII) associés à la lettre .c. concernent, le premier, le cas où la note avant .c. est à distance de demi-ton (.♮.), le second celui où elle est à distance de ton (.♭.). Le Micrologus de Gui d'Arezzo donnera une description similaire, mais plus systématique, du «  mode des notes  ».


NM